"Ils veulent du coït ! Du coït ! De la partouze pleine de
fautes d'orthographe ! On ne lit plus les classiques. La littérature est portée
disparue !" Elle haletait comme si elle avait une crise d'asthme. Un matin elle
téléphona à l'éditeur : "Pourquoi vous ne m'envoyez pas mon contrat ?" C'était
son énième appel, l'éditeur lui répondit qu'elle ne recevrait pas l'argent.
[...] Vers deux heures du matin, un appel bref d'Irène m'alerta. "Chérie, je
vais mettre le point final." Elle avait avalé les cachets dans un dernier verre
de vin.
Lors d’un vernissage d’une exposition de photos, Eliane
reconnaît sur un cliché Irène, une amie de jeunesse, écrivaine, qu’elle avait
perdue de vue. Leurs vieux liens vont se renouer, et Irène, auteure tombée dans
l’oubli, persuadée qu’elle est en train d’écrire "LE" best-seller
de sa vie, va appeler Eliane jour et nuit, lui demandant son aide, la refusant…
Ses appels sont au diapason de son humeur, parfois elle est sûre d’elle, enjouée
et parfois, elle est au bord du gouffre, persuadée que son mari plus jeune qu’elle
cherche à la tuer, que son éditeur la persécute… Et les monologues d’Irène
laissent filtrer toute son angoisse de se retrouver seule et oubliée de tous,
jusqu’au moment où elle "va mettre un point final", sans terminer
SON livre. Pour Eliane c’est "une part de moi venait de mourir", elle est hantée par le remord de
ne pas avoir pu la sauver. Se présente alors Virginia, riche Américaine envoyée
par son éditeur, qui a besoin d’un nègre pour finir son livre, Eliane accepte,
pensant ainsi pouvoir guérir sa culpabilité vis-à-vis d’Irène. Au fil des jours
se crée entre Eliane et Virginia un lien fait de jalousie, d’admiration. D’un côté
Virginia, sûre de son bon droit du fait de sa richesse, et de l’autre, Eliane,
qui est là, pense-t-elle, pour faire son mea culpa et être corvéable à merci.
Mais peu à peu on se demande qui domine qui, qui a le pouvoir, Virginia ou
Eliane ? Virginia est persuadée que sa richesse va lui apporter la gloire,
gloire qui passe par la sortie de son livre, d’où des invitations à n’en plus
finir, rassemblant tout ce qui compte dans le domaine de l’édition. Et là, on
entre dans un milieu où se côtoient pseudo-intellectuels, écrivaillons de toute
sorte, attachées de presse… le tout se pressant à "une soupe populaire
de grands bourgeois". Et Virginia va tantôt les porter aux nues, tantôt les exécrer, tandis
que Eliane va se laisser porter par cette déferlante. Et quand arrive la fin, c’est
à nouveau pour Virginia une débauche de voyages, cocktails… Et pour Eliane à
nouveau, le vide, l’absence "Que me reste-t-il du rêve de vivre ?".
Chantal Chawaf dresse des portraits assassins sans aucune
concession de cette cour qui gravite autour de Virginia et nous décrit un
milieu littéraire où "le texte ne joue plus aucun rôle, il suffit de
travailler la promotion. Tout est dans le look et dans le réseau", ce qui appelle réflexion… Elle nous fait entrer dans l’intimité
de deux femmes que tout oppose mais qui sont tellement semblables de par leur
fragilité et leurs doutes, on les aime sans aucune limite : elles sont agaçantes,
ridicules mais tellement touchantes. Le tout est servi par un style qui happe
le lecteur dès la première phrase sans jamais le lâcher. Un superbe roman à ne
manquer sous aucun prétexte.
Merci à Babelio et aux Editions de La Grande Ourse de m'avoir fait découvrir ce joli moment de lecture.
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