dimanche 24 mars 2013

La voix, Arnaldur Indridason




Le Père Noël a été assassiné juste avant le goûter d’enfants organisé par l’hôtel de luxe envahi de touristes, alors s’il vous plaît, commissaire, pas de vagues. C’est mal connaître le commissaire Erlendur. Déprimé par les interminables fêtes de fin d’année, il s’installe à l’hôtel et mène son enquête à sa manière rude et chaotique. Les visites de sa fille, toujours tentée par la drogue, ses mauvaises fréquentations, permettent au commissaire de progresser dans sa connaissance de la prostitution de luxe, et surtout il y a cette jolie laborantine tellement troublante qu’Erlendur lui raconte ses secrets. Le Père Noël était portier et occupait une petite chambre dans les sous-sols depuis vingt ans, la veille on lui avait signifié son renvoi. Mais il n’avait pas toujours été un vieil homme, il avait été Gulli, un jeune chanteur prodige, une voix exceptionnelle, un ange.

Je ne connaissais pas Arnaldur Indridason et n’avais rien lu de lui, mais « La Voix » peut se  lire sans problème indépendamment des précédents.
Ce qu’on peut dire, c’est que, dans cette histoire, la magie de Noël est bien loin. On plonge directement dans une enquête glauque à souhait. De plus, comme le crime a été commis dans un hôtel, l’impression de huis clos est omniprésente, on est oppressé par ce lieu dont on découvre les coins et les recoins, une ambiance lourde et pesante règne du début jusqu’à la fin. L’enquête est remarquablement construite, Indridason nous distillant au compte-gouttes les informations, les rebondissements succèdent aux fausses pistes. La galerie des personnages est étonnante, que ce soit la victime qui d’enfant star devient portier dans un hôtel et endosse le costume de Père Noël, sa sœur et son père, enfermés dans une « non-vie » ou les autres employés de l’hôtel qui ont tous quelque chose à cacher. Quant à Erlendur, le responsable de l’enquête, la complexité de son personnage le rend très attachant, il est bourru à souhait mais terriblement humain. Son passé lui revenant en plein figure à chaque fois qu’il croise sa fille Eva Lind, toujours en proie à ses démons. Leur relation est bien résumée par cette question d’Erlendur : « Eva, est-ce que je t’ai volé ton enfance ? », et sa question s’adresse également, et surtout à lui-même, lui a-t-on volé son enfance ?
En résumé, un bon policier, à l’atmosphère pesante, le tout servi par une écriture d’une grande sobriété qui entraîne le lecteur dans un univers noir de la première à la dernière page.




dimanche 10 mars 2013

Délivrance brisée, Chantal Chawaf




"Ils veulent du coït ! Du coït ! De la partouze pleine de fautes d'orthographe ! On ne lit plus les classiques. La littérature est portée disparue !" Elle haletait comme si elle avait une crise d'asthme. Un matin elle téléphona à l'éditeur : "Pourquoi vous ne m'envoyez pas mon contrat ?" C'était son énième appel, l'éditeur lui répondit qu'elle ne recevrait pas l'argent. [...] Vers deux heures du matin, un appel bref d'Irène m'alerta. "Chérie, je vais mettre le point final." Elle avait avalé les cachets dans un dernier verre de vin.

Lors d’un vernissage d’une exposition de photos, Eliane reconnaît sur un cliché Irène, une amie de jeunesse, écrivaine, qu’elle avait perdue de vue. Leurs vieux liens vont se renouer, et Irène, auteure tombée dans l’oubli, persuadée qu’elle est en train d’écrire "LE" best-seller de sa vie, va appeler Eliane jour et nuit, lui demandant son aide, la refusant… Ses appels sont au diapason de son humeur, parfois elle est sûre d’elle, enjouée et parfois, elle est au bord du gouffre, persuadée que son mari plus jeune qu’elle cherche à la tuer, que son éditeur la persécute… Et les monologues d’Irène laissent filtrer toute son angoisse de se retrouver seule et oubliée de tous, jusqu’au moment où elle "va mettre un point final", sans terminer SON livre. Pour Eliane c’est "une part de moi venait de mourir", elle est hantée par le remord de ne pas avoir pu la sauver. Se présente alors Virginia, riche Américaine envoyée par son éditeur, qui a besoin d’un nègre pour finir son livre, Eliane accepte, pensant ainsi pouvoir guérir sa culpabilité vis-à-vis d’Irène. Au fil des jours se crée entre Eliane et Virginia un lien fait de jalousie, d’admiration. D’un côté Virginia, sûre de son bon droit du fait de sa richesse, et de l’autre, Eliane, qui est là, pense-t-elle, pour faire son mea culpa et être corvéable à merci. Mais peu à peu on se demande qui domine qui, qui a le pouvoir, Virginia ou Eliane ? Virginia est persuadée que sa richesse va lui apporter la gloire, gloire qui passe par la sortie de son livre, d’où des invitations à n’en plus finir, rassemblant tout ce qui compte dans le domaine de l’édition. Et là, on entre dans un milieu où se côtoient pseudo-intellectuels, écrivaillons de toute sorte, attachées de presse… le tout se pressant à "une soupe populaire de grands bourgeois". Et Virginia va tantôt les porter aux nues, tantôt les exécrer, tandis que Eliane va se laisser porter par cette déferlante. Et quand arrive la fin, c’est à nouveau pour Virginia une débauche de voyages, cocktails… Et pour Eliane à nouveau, le vide, l’absence "Que me reste-t-il du rêve de vivre ?".
Chantal Chawaf dresse des portraits assassins sans aucune concession de cette cour qui gravite autour de Virginia et nous décrit un milieu littéraire où "le texte ne joue plus aucun rôle, il suffit de travailler la promotion. Tout est dans le look et dans le réseau", ce qui appelle réflexion… Elle nous fait entrer dans l’intimité de deux femmes que tout oppose mais qui sont tellement semblables de par leur fragilité et leurs doutes, on les aime sans aucune limite : elles sont agaçantes, ridicules mais tellement touchantes. Le tout est servi par un style qui happe le lecteur dès la première phrase sans jamais le lâcher. Un superbe roman à ne manquer sous aucun prétexte.

Merci à Babelio et aux Editions de La Grande Ourse de m'avoir fait découvrir ce joli moment de lecture.