Nul n’est à l’abri de l’abominable. Nous sommes tous capables du
pire ! Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune périgourdin, sort du
domicile de ses parents pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village
voisin. C’est un jeune homme plaisant, aimable et intelligent. Il compte
acheter une génisse pour une voisine indigente et trouver un couvreur pour
réparer le toit de la grange d’un voisin sans ressources. Il veut également
profiter de l’occasion pour promouvoir son projet d’assainissement des marais
de la région. Il arrive à quatorze heures à l’entrée de la foire. Deux heures
plus tard, la foule devenue folle l’aura lynché, torturé, brûlé vif et même
mangé. Comment une telle horreur est-elle possible ? Comment une population
paisible (certes angoissée par la guerre contre l’Allemagne et sous la menace
d’une sécheresse exceptionnelle) peut-elle être saisie en quelques minutes par
une telle frénésie barbare ? Au prétexte d’une phrase mal comprise et d’une
accusation d’espionnage totalement infondée, six cents personnes tout à fait
ordinaires vont pendant deux heures se livrer aux pires atrocités. Rares sont
celles qui tenteront de s’interposer. Le curé et quelques amis du jeune homme
s’efforceront d’arracher la malheureuse victime des mains de ces furieux et
seule Anna, une jeune fille amoureuse, risquera sa vie pour le sauver.
Incapable de condamner six cents personnes d’un coup, la justice
ne poursuivra qu’une vingtaine de meneurs. Quatre seront condamnés à mort, les
autres seront envoyés aux travaux forcés. Au lendemain de ce crime abominable,
les participants hébétés n’auront qu’une seule réponse : « Je ne sais pas ce
qui m’a pris. »
Avec une précision redoutable, Jean Teulé a reconstitué chaque
étape de cet atroce chemin de croix qui constitue l’une des anecdotes les plus
honteuses de l’Histoire du XIXe siècle en France.
Cette histoire, tirée d’un
fait divers réel, est tout simplement inimaginable. Elle m’a laissé totalement
abasourdie, comment un tel déchaînement de violence contre une seule et même
personne est-il possible ? Jean Teulé nous retrace étape par étape (un
croquis illustre chaque chapitre) l’horrible chemin de croix de Alain de
Monéys, jeune Périgourdin apprécié de tous et qui va se faire lynché, brûlé et
mangé par une foule devenue complètement folle. Le départ de la cette
folie ? une simple phrase mal interprétée, elle va engendrer le
défoulement d’une foule frustrée par le conflit franco-prussien, la sécheresse
qui met leur vie en péril et accentué par l’alcool. Les amis de Monéys essaient
de faire tout ce qu’ils peuvent pour le sauver, pour essayer de ramener cette
foule à la raison, lui-même tente de leur rappeler qui il est, mais tout ça est
vain, la folie qui s’est emparée de ces gens est la plus forte et rien ni
personne ne pourra changer le destin tragique ce héros ordinaire face à la
folie meurtrière de gens tout aussi ordinaires. Sur les 600 protagonistes,
seulement 21 seront jugés, et aucun d’entre eux ne sera capable d’expliquer ce
déchaînement insensé, et même si 4 d’entre eux seront condamnés à mort, le tout laisse un sentiment non
seulement d’angoisse mais aussi d’incompréhension. Le style de Jean Teulé,
presque « léger » renforce le côté dérangeant de ce fait
divers : de banals humains des plus ordinaires peuvent se transformer en
monstres sanguinaires sous l’influence d’une folie collective… Un récit que
j’ai lu d’une seule traite et qui ne m’a pas laissée indifférente, loin s’en
faut !